Dossier spécial dixième anniversaire 2009-2018
Dix ans en Amérique : Mexique 
Valentina Facey et Marcela Sofia Florin, élèves de Terminale, Mexico
Au Chiapas, une culture qui cherche à se préserver
La déforestation incontrôlée menace les communautés indigènes du Chiapas qui tentent de se regrouper pour y faire face.
Situé au sud-est du Mexique, à la frontière avec le Guatemala, le Chiapas est un des États les plus pauvres du pays mais reste doté de très grandes richesses naturelles. Pour Alejandro Hernandez, coordinateur des forêts méso-américaines du Mexique, le Chiapas est le deuxième État qui dispose de la plus grande superficie forestière du pays. Deux de ses forêts les plus remarquables sont la réserve El triunfo, reconnue en 2015 par la BBC Earth comme « la forêt la plus magique du monde », et au cœur de la jungle de Lacandon, la réserve de Montes Azules, 331 200 hectares de terre maya, la biosphère la plus riche d’Amérique centrale, selon l’UNESCO. Mais ces espaces sont menacés comme l’attestent de nombreux groupes civils de la région qui dénoncent le pillage des actifs naturels de leurs terres et le harcèlement de l’armée mexicaine contre les communautés indigènes pour protéger les multinationales engagées dans des projets d’extraction des richesses naturelles.
La forêt du Chiapas dans la jungle de Lacandon, photo CC BY
Une déforestation qui menace les communautés indigènes
Le Chiapas aurait perdu 55% de ses forêts, selon l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine The Nature Conservancy. Pour Marco Antonio Lara Ramirez, directeur commercial de l’ONG mexicaine Ambio, c’est « entre 30.000 et 45.000 hectares de forêts qui sont déboisés chaque année ». La déforestation s’est accentuée au début des années 2000 quand le président mexicain Vincente Fox lance le plan Puebla Panama, un projet de développement censé lutter contre la pauvreté, mais qui favorisa l’exploitation des matières premières de la région en encourageant l’implantation de multinationales. Depuis, l’exploitation des terres pour l’élevage, avec plus de 6.2% des surfaces du Chiapas qui y sont consacrées, selon l’institut statistique mexicain l’INEGI, n’a cessé d’accentuer le problème de la déforestation.
Dans la réserve de Montes Azules, plus de quarante-cinq communautés indiennes y résident. Et pour les ethnies Chiapanèques comme les Lacandones, les Choles et les Tzeltates, les forêts ont un rôle crucial dans leur identité culturelle. La déforestation provoque ainsi le départ des ethnies vers les villes afin d’y trouver de nouvelles ressources et cet exode menace ces différentes communautés. Ainsi, la ville de San Cristóbal de Las Casas, capitale culturelle du Chiapas, connait une croissance de sa population de plus de 4% par an, selon l’INEGI, croissance due en grande partie à l’arrivée des migrations indigènes subies, estime l’institut mexicain de statistiques. Martha, qui travaille dans l’hacienda Don Juan de la ville nous explique que « les communautés indigènes comme le peuple des Lavandins vivent en pleine forêt tropicale, une forêt devenue constitutive de leurs traditions car elle fut le seul moyen au XVIème siècle de fuir les incursions militaires et religieuses des Espagnols. » La conservation de la forêt est devenue selon elle « indispensable pour conserver le patrimoine culturel du Chiapas ».
Le réveil des peuples indigènes
La désignation pour la première fois d’une candidate indienne à la présidentielle de 2018, par le Conseil indigène de gouvernement du Chiapas, réunissant des représentants de 58 peuples indiens, et de l’Armée zapatiste, montre la montée en puissance de leurs revendications. La porte-parole María de Jesús Patricio, guérisseuse traditionnelle, connue sous le nom de Marichuy, a pu ainsi lors de débats nationaux plaider la cause des peuples indigènes. La prise de la ville de San Cristóbal, lors de la révolte de l’armée zapatiste de libération nationale (EZLN) en 1994, avait constitué un sursaut des communautés indigènes et avait permis un premier pas vers la reconnaissance des richesses naturelles de leur région. En octobre 2018, des indigènes, étudiants et membres de la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE) ont défilé dans les villes de San Cristóbal et de Tuxtla Gutièrez pour s’opposer aux projets hydroélectriques, pétroliers et miniers qui menacent les terres et la vie sociale et culturelle du territoire. « Les gens craignent pour leur intégrité en raison de l’historique des menaces et des expulsions qui se sont produits dans la région, notamment parce que les actions de l’armée ont été caractérisées par du harcèlement, des meurtres, des incendies de maisons et des expulsions », explique Claudia Ramos, membre de l’association civile Otros Mundos, dans une interview pour le média en ligne Sin embargo.
Indiens du Chenalhó au Chiapas, photo by Diego Cue / CC BY
Des projets alternatifs
Nombre d’acteurs nationaux préconisent, face à l’extraction des richesses naturelles des multinationales, de développer le secteur du tourisme pour mettre en valeur les zones forestières. Il s’agit par exemple de restaurer les haciendas et les sites archéologiques comme ceux de Palenque, Bonanpak, Yaxchilan. Le dernier projet en date, le train Maya, proposé par le nouveau président Andrés Manuel López Obrador, a pour objectif de faciliter le transit d’un site archéologique ou naturel à l’autre. Mais ces initiatives ne font pas l’unanimité. Ces modèles sont souvent critiqués par des associations locales car ils induisent des répercutions sur la biosphère et favorisent aussi l’homogénéisation de l’identité indienne-paysanne. Les réponses sont donc encore à trouver et c’est par l’association des différentes communautés indigènes et leur capacité à proposer de nouvelles voies de développement possibles que le Chiapas pourra conserver sa véritable identité.