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Trans mountain, un oléoduc controversé qui divise le Canada

Michel Asselin, Rudy Dijoux, Montréal 

 

Trans Mountain est un oléoduc qui transporte du pétrole brut et du pétrole raffiné en traversant deux provinces du Canada : l’Alberta et la Colombie Britannique. Mais en 2013, Kinder Morgan, la compagnie qui assure la gestion de l’oléoduc a décidé d’ajouter une extension à celui-ci, prévue d’ici 2019 : la « Trans Mountain Pipeline Expansion Project », au cœur de la controverse.

 

 

Pourquoi le Trans Mountain ?

La « Trans Mountain Pipeline Expansion Project » permettra de transporter du bitume dilué vers les pays intéressés et augmentera le nombre de barils de 300 000 à 890 000 barils par jour! Elle améliorera sensiblement la situation économique du Canada en trouvant des débouchés à l’international et en augmentant le nombre d’emplois (15 000 emplois créés  selon le gouvernement fédéral). Kinder Morgan affirme,  sur son site internet, que les provinces du Canada récupéreront des bénéfices, et des emplois, à redistribuer aux « premières nations » (peuples amérindiens du Canada) et à leurs diverses communautés.

La construction a été autorisée par l’Office National de l’Energie (ONE), le tracé et le projet respectent donc la plupart des conditions et des normes nécessaires et obligatoires, en vigueur au Canada pour la construction d’un oléoduc. Cependant, malgré cette autorisation, le projet a provoqué de multiples réactions entraînant le Canada dans un conflit qui divise sa population.

 

Des actions et inquiétudes venant des citoyens.

Selon un sondage de l’Institut Angus, réalisé en février 2018, 50% des canadiens interrogés suivent l’avis de la Colombie Britannique, qui refuse la construction de l’extension et tandis que 50% sont pour, en se reportant sur l’avis de l’Alberta, qui est pour l’extension. Si on se concentre sur cette province, 18% des habitants sont contre et 82% sont pour la décision de l’Alberta. Tandis qu’en Colombie Britannique, 58% des interrogés sont pour du côté de la Colombie Britannique et 42% sont contre. Et grâce à d’autres sondages plus approfondis de l’Institut Angus, on peut constater que les opinions ou les peurs à propos du pipeline sont multiples (environnement, peur du déversement du pétrole dans la nature …versus emploi, économie…).

Il est important de noter que l’arrivée du pipeline se trouve à Burnaby en Colombie Britannique et que la matière première est ensuite acheminée vers des terminaux locaux qui vont charger les pétroliers. Le problème avancé par les groupes contre l’extension est qu’il pourrait y avoir un déversement de ces sables bitumeux sur les côtes de la Colombie Britannique si un  accident survenait.

Greenpeace, une organisation non gouvernementale qui protège l’environnement, très présente dans cette affaire, est bien sûr contre la construction de ce pipeline. Greenpeace pense que cela aurait de dangereux effets sur le réchauffement climatique, étant donné que le pipeline transporte une ressource produisant des millions de tonnes de gaz à effets de serre. Sur son site, on peut trouver que « le projet de Kinder Morgan aurait les mêmes impacts climatiques que 2,7 millions de voitures par an. Dans ce seul projet, c’est quatre fois plus que toutes les réductions des émissions de carbone réalisées à ce jour, en Colombie Britannique ».

Aussi, les militants dénoncent le fait que l’autorisation de la construction est un manque de respect pour les « Premières Nations », qui elles aussi sont contre l’extension.

Plusieurs manifestations ont eu lieu, menées par Greenpeace, les « Premières Nations » et plusieurs mouvements écologistes à Burnaby, près du terminal pétrolier porteur du projet Kinder Morgan. Il y a eu de nombreuses arrestations comprenant la chef du parti vert du Canada, Elizabeth May et le député fédéral néo-démocrate de Burnaby-Sud, Kennedy Stewart. Le motif de leur arrestation était que leurs manifestations transgressaient l’injonction de la Cour suprême du Canada qui leur interdisait de s’approcher à moins de 5 mètres des sites de travaux entrepris par Kinder Morgan. Les autorités ont aussi procédé à l’arrestation du cofondateur de Greenpeace, Rex Weyler.

Des partisans du projet ont aussi manifesté pour montrer leur soutien, que ce soit à Burnaby ou en Alberta, pour affirmer tous les avantages d’un tel projet.

Les « Premières Nations » de la Colombie Britannique se sont formellement exprimées sur le sujet et ont clairement affirmé qu’elles étaient contre l’extension et  que ce seront eux qui auront le dernier mot, dans cette controverse. Cependant, certains membres des « Premières Nations » de la Colombie Britannique sont du côté de l’Alberta en estimant que les avantages que donnerait le pipeline sont importants.

 

Des conflits régionaux entre l’Alberta et la Colombie Britannique

L’Alberta est une région connue pour son exploitation pétrolière et elle fait partie des acteurs qui soutiennent Kinder Morgan et donc le projet de l’extension. Elle défend le projet pour des raisons données plus haut (création d’emplois, croissance économique du Canada, etc.). Cependant, en janvier 2016 la Colombie Britannique annonça formellement être contre la construction du pipeline pour des raisons environnementales. La principale ressource économique de la Colombie Britannique étant le tourisme, on comprend aussi mieux leur positionnement. En effet, en cas d’accident pétrolier, suite à un déversement du pétrole dans les cours d’eau, cela occasionnera un énorme impact négatif sur l’environnement de la région et sur son économie, ce que les économistes nomment des externalités négatives. Afin d’espérer bloquer le projet d’expansion, la Colombie Britannique souhaite imposer de nouvelles régulations aux entreprises qui veulent transporter de plus grandes quantités de pétrole lourd sur son territoire.

Ces conflits ont des répercussions sur les échanges commerciaux, ce qui aboutit à une guerre commerciale entre l’Alberta et la Colombie Britannique. Tout d’abord, l’Alberta a fait comprendre qu’elle n’importera plus du vin provenant de la Colombie Britannique. Une industrie agro-alimentaire essentielle qui a permis à la Colombie Britannique d’obtenir 72 millions de dollars canadiens de chiffre d’affaires en 2017,  l’Alberta ayant importé environ 17,2 millions de bouteilles de vin. Par ailleurs, l’Alberta fait remarquer qu’elle suspendrait les pourparlers sur l’importation d’électricité provenant de la Colombie Britannique qui lui rapporte  500 millions de dollars canadiens par an. Enfin, l’Alberta prévoit de priver la Colombie Britannique de pétrole suite à des actions de celle-ci jugées extrêmes et illégales pour faire échouer le projet de l’extension du pipeline.

 

Une implication du gouvernement fédéral

C’est en s’appuyant sur des estimations scientifiques, que le gouvernement canadien justifie l’extension du pipeline Trans Mountain, invoquant l’intérêt national et  ses effets positifs sur l’économie canadienne. Le premier ministre du Canada Justin Trudeau assure que l’extension sera construite. En effet, Justin Trudeau a déjà fait appel à son ministre des finances pour des négociations avec Kinder Morgan en vue de trouver une solution financière qui rassureraient tous les investisseurs. Aussi, l’Alberta demande plus de soutien au gouvernement fédéral dans sa bataille contre la Colombie Britannique qu’elle accuse de bloquer l’expansion de l’oléoduc.

SECRET BIEN GARDÉ : L’ extrême droite au Québec

Sarah Rebba, Montréal  

Pas chez nous. Pas au Québec. Un tel événement ne peut pas se produire ici, c’est impossible. Voici les premières réactions des québécois, témoins de l’horreur le 29 janvier 2017 alors que la grande mosquée de Québec est le théâtre d’une fusillade qui fera six morts et huit blessés parmi les fidèles, initialement en train de prier et l’instant d’après, atteints par les tirs d’un pistolet 9 mm.  Le choc est immense : alors que les attentats terroristes sont presque devenus monnaie courante de l’autre côté de l’Atlantique, le Québec se croit encore, à l’époque, à l’abri de telles tragédies. Mais la haine a fini par se libérer ici aussi, sous forme d’actes au caractère indicible.

Le lendemain est organisée une grande manifestation, une sorte de veillée funèbre, pour soutenir les familles des victimes en deuil. Des milliers de personnes se rassemblent à l’arrière de l’Église Notre-Dame-de-Foy pour manifester leur solidarité à la communauté musulmane, leur signifier leur engagement dans la lutte contre le racisme et  l’islamophobie, des cancers qui visent la stigmatisation d’une communauté qui a sa place dans la province.

L’Assemblée nationale compte quatre partis politiques représentés : le Parti libéral du Québec, le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire. Tous les chefs de partis se sont frayé un chemin dans la masse manifestante pour prononcer un discours qui s’est voulu de soutien et de réconfort aux Québécois, et plus particulièrement aux musulmans vivant au Québec. Sans compter le Premier ministre canadien  Justin Trudeau qui a vivement condamné les actes perpétrés à l’encontre de cette communauté : « Nous n’acceptons pas cette haine. » martèle-t-il. Il prononce ensuite la liste des victimes d’une voix douloureuse, puis tente de rassurer les musulmans en insistant sur la dimension démocratique et fondamentale de la liberté de culte, sur un ton qui se veut sans appel : « nous protégerons et défendrons toujours votre droit de vous rassembler et de prier, aujourd’hui et tous les jours».

Il reste cependant que cette  vague de solidarité n’est pas l’initiative de l’ensemble des Québécois. Le type de régime en vigueur au Canada ne permet pas la représentation de toutes les sensibilités politiques. Et c’est tant mieux, se dit-on, face à la menace nationaliste et populiste qui gronde en Europe, et qui s’est concrétisée juste de l’autre côté de la frontière. Mais cet angélisme canadien semble bien dorénavant n’être qu’une façade. L’attentat a réveillé de vieux démons. Le Québec a aussi connu des heures sombres par le passé.

@La Presse

Adrien Arcand, autrefois surnommé le Führer canadien, est une  figure de proue de la mouvance fasciste au Québec dans les années 30. Il fonde en 1933 le Parti National social-chrétien du Canada (1500 membres actifs au Québec à l’époque).

Source : Jean-François Nadeau, historien

Il est évidemment question de l’extrême droite, une tendance qui alimente la peur, à laquelle on ne faisait pas allusion avant l’attentat, mais qui demeure centrale à analyser aujourd’hui pour faire apparaître une réalité qu’il est préférable de ne pas taire. Il faut briser le silence sur un sujet qui provoque le malaise sur une terre d’immigration. Prenons le cas de la France. L’Hexagone a assimilé un mécanisme essentiel en « légalisant » le parti d’extrême droite le Front national, il y a 45 ans. Il s’agissait alors de libérer la parole violente pour mieux canaliser cette violence et éviter qu’elle ne se traduise en actes de haine comme ça été le cas le 29 janvier dernier à Ste-Foy. Faut-il autoriser les partis extrêmes à se représenter dans le paysage politique québécois? La question demeure en suspens. On ne peut nier néanmoins l’existence de groupuscules d’extrême droite qui y prospèrent aujourd’hui. En effet, selon le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), la Belle province est celle qui en abriterait le plus au Canada : entre 20 et 25 contre 18 à 20 en Ontario et 12 à 15 en Colombie-Britannique. Très actifs sur les réseaux sociaux, certains se sont immédiatement dissociés de la tragédie du 29/01, ignorant ou feignant d’ignorer l’impact de leur discours sur certains esprits. « La violence de l’extrême droite s’est située jusqu’ici dans l’espace du discours. Mais ces groupes ne contrôlent pas leurs membres. Le fait qu’ils se dissocient d’une action particulière ne change rien au fait qu’ils charrient des messages de haine, des théories complotistes, un discours de rejet de l’autre qui en appelle à la violence. », a dénoncé Herman Okomba-Deparice, le directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Les groupuscules d’extrême droite ne sont cependant pas les seuls éléments actifs occupés à diffuser des discours qui font l’apologie de l’intolérance et de la haine. Je fais référence ici aux radios d’opinions de la capitale, Québec, soit les radios-poubelles. «Plus il y a de violence, plus il faut s’attendre à des gestes violents. Bien sûr, on ne pouvait pas prédire une fusillade terrible qui fait six morts comme celle de la Grande Mosquée. Cependant, dans ce contexte, je ne suis pas étonnée de voir que des groupes d’extrême droite sont de plus en plus présents. Et on ne dit rien au nom de la liberté d’expression.» déclare  une ex-professeure de l’Université Laval, Diane Vincent. Bien qu’indirect, elle explique que le lien existe bel et bien entre le discours des radios d’opinion et la montée des discours de haine au Québec, qui font la fortune de l’extrême droite.

La capitale provinciale, Québec, est devenue progressivement le nid de cette extrême droite de plus en plus visible et décomplexée. 1 signalement sur 5 effectué auprès du Centre de prévention contre la radicalisation à Montréal proviendrait de la région de Québec. « À Québec, il y a un contexte qu’on ne peut pas nier qui est entre autres entretenu par les médias que certains appellent les radios-poubelles. Je ne suis pas en train de dire que c’est ce qui propulse ces groupes-là, mais, quelque part, ça aide aussi à les banaliser. », précise Aurélie Campana, détentrice de la Chaire de recherche sur les conflits et le terrorisme à l’Université de Laval, en accord avec l’ex-professeure citée précédemment, Diane Vincent. Atalante-Québec, groupuscule extrémiste basé dans la capitale, concentrerait entre 175 et 200 membres actifs. Ceux-ci organisent des marches dans les rues du centre-ville et affublent les poteaux d’autocollants islamophobes incitant à la haine tels que « Burn your local mosque » (« Brûle ta mosquée locale »).

@Le Devoir

Aujourd’hui au Québec, l’extrême droite sort de l’ombre progressivement, affichant des positions qui reflètent le repli identitaire d’une partie de la population. « La différence ne tient pas aux moyens d’action et au public ciblé, mais plus à une couche de complexité qui tient en particulier à l’existence de tout le discours identitaire au Québec. Il y a au Québec des groupes qui ancrent leur discours dans un nationalisme québécois très exclusif qui n’a rien à voir avec le nationalisme québécois dominant. Ils ont un discours anti-immigration, de plus en plus anti-musulman. », observe Aurélie Campana, détentrice de la Chaire de recherche sur les conflits et le terrorisme à l’Université Laval. Elle remarque également un phénomène plutôt inquiétant, soit le tissage d’une sorte de toile extrémiste, reliant de par le monde des groupuscules aux idéaux archaïques : « Ceux du Québec sont insérés dans des réseaux à majorité francophone. Ils sont en relation avec des groupes d’extrême droite en France, en Belgique, en Suisse. Ça, on ne le retrouve pas ailleurs au Canada. ».

LE QUÉBEC, ENTRE TERRORISME ET ISLAMOPHOBIE

Emma Massucci-Templier, Axelle Ouédraogo, Montréal   

 

Le Canada, le Québec n’oubliera jamais la nuit du 29 janvier 2017. En effet, l’attentat de Québec a suscité de nombreuses réactions. La médiatisation colossale de cette attaque ne doit pas faire oublier les autres attentats qu’a connu la région par le passé. La nuit du 29 janvier vient alors renforcer l’idée que le Québec n’a pas été et n’est pas à l’abri de tous dangers.

Historique des attentats

Attentats Faits
La crise d’Octobre (1970) Le Front de libération du Québec (FLQ) enlève l’attaché commercial de la Grande-Bretagne, James Richard Cross, et le ministre québécois Pierre Laporte. Ce dernier est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture.
La fusillade à l’Assemblée nationale (1984) Un caporal, Denis Lortie, lourdement armé, fait irruption à l’Assemblée nationale, tirant plusieurs rafales de mitraillette qui feront 3 morts et 13 blessés.
L’explosion du vol 182 d’Air India (1985) Une bombe placée dans la soute à bagages fait exploser le vol 182 d’Air India, qui devait assurer la liaison Montréal-Londres-New Delhi.
La tuerie à Polytechnique (1989) Marc Lépine entre dans des salles de classe de l’École polytechnique de Montréal, tue et blesse 14 femmes.
L’attentat au Métropolis (2012) Richard Henri Bain tire sur deux techniciens du Métropolis de Montréal. Un d’entre eux, meurt et l’autre est grièvement blessé.
L’attentat à Saint-Jean-sur-Richelieu (2014) Martin Couture-Rouleau tue un militaire et en blesse un autre en fonçant sur eux avec sa voiture, à Saint-Jean-sur-Richelieu.
L’attentat à Québec (2017) Alexandre Bissonnette ouvre le feu sur des fidèles réunis pour prier au rez-de-chaussée dans une mosquée.

Bilan: 6 morts, 5 blesses graves, 17 orphelins

Origine des victimes: Algérie, Tunisie,  Maroc, Guinée

L’attentat de janvier à Québec, un acte révélateur d’une islamophobie grandissante

Le Canada, à la réputation de terre d’accueil pour l’étranger, où règne la tolérance, l’inclusion et l’égalité, n’est en réalité pas irréprochable. Le racisme et la méfiance envers l’Islam et les musulmans existent bel et bien au Canada, comme partout en Occident, et cet acte terroriste n’est que le reflet de cette réalité.

« La discrimination, cela va dans tous les sens. L’inclusion va dans tous les sens. On favorise la mixité de l’habitation autant pour les communautés culturelles que pour les religions. C’est fondamental pour nous. » S’exprimait Philippe Couillard lors de la Conférence des Nations unies ayant eu lieu en 2016. Pourtant aujourd’hui, les musulmans représentent une minorité des plus stigmatisée au Québec. En effet, en 2009, une étude rendue publique par M. Arcand a montré que les Maghrébins établis au Québec depuis cinq ans ou moins ont un taux de chômage dépassant 33%, quatre fois plus que le reste de la population.

Peut-on parler d’une montée de l’islamophobie ? Selon une étude réalisée par la maison CROP, dont la mission est de comprendre les citoyens et les consommateurs québécois avec de groupes de discussions et des sondages d’opinion, et publié par Radio Canada, 56% des québécois pensent que les musulmans sont mal intégrés à la société canadienne. De plus, 57% des québécois surestiment le nombre de musulmans au sein de la population canadienne, qui n’est que de 3,2% en réalité. Par rapport au port du voile : 62% de la population vivant au Québec estiment qu’il s’agit d’un signe de soumission et une majeure partie pense qu’il devrait être interdit pour les éducateurs, les personnes d’autorité ou encore les employés du service public. Avant l’attentat de Québec, 57% des canadiens étaient inquiets quant à la sécurité du pays en présence des musulmans. De plus, 68% étaient défavorables à la présence de mosquées dans son quartier. Après l’attentat, 50% de la population du Québec ne pensent pas être dérangées si ces évènements causaient une baisse de l’immigration musulmane. Enfin, 32% sont d’accord avec l’idée qu’il faudrait interdire l’immigration musulmane au Canada, ce qui représente plus d’un tiers de la population.

« On a peur [que l’immigrant] impose sa différence. Et qu’en imposant sa différence, il change notre société », paroles énoncées par Alain Ciguère, de CROP. En effet, la société québécoise a été forgée par le mouvement de laïcisation qui a eu lieu lors de la « Révolution tranquille », dans les années 1960. Cette identité québécoise est de plus en plus importante au sein des partis nationalistes, qui n’hésitent pas à critiquer le multiculturalisme canadien, qui, selon eux, est la cause de la diffusion de la religion musulmane.

Le Canada et sa lutte antiterroriste.

Immédiatement dans les heures qui ont suivi la nuit du 29 janvier, le gouvernement a pris des mesures pour renforcer la sécurité dans l’ensemble des mosquées de la province québécoise. Aussi, le 23 mars, la motion M-103 énoncée par la députée Iqra Khalid a été adoptée à Ottawa. Cette motion condamne formellement l’islamophobie.

Dès le début des années 2000, bien avant les évènements de Québec,  le gouvernement canadien était conscient que le Canada n’était pas immunisé contre toutes menaces d’origine terroriste. En effet, on peut lire sur le site du gouvernement national « le Canada n’est pas à l’abri du terrorisme. De nombreux groupes extrémistes internationaux et nationaux sont présents au Canada ». Le pays s’est alors engagé dans la prise de mesures antiterroristes. Ainsi, dès les attentats du 11 septembre, le Canada a promptement réagi dans le but de renforcer la sécurité. Plus de 7 milliards de dollars ont été investis pour sécuriser le territoire. Le pays montre sa volonté de lutte antiterroriste en étant à la tête du Groupe d’Action contre le Terrorisme (GACT). Le GACT est une institution qui a été créée en 2003 dans l’esprit d’appuyer le Comité contre le terrorisme (CCT) du Conseil de sécurité de l’ONU. Cet organisme met en place un « plan d’action pour établir une volonté et une capacité politique en vue de lutter contre le terrorisme « .

Par ailleurs, même si le Canada a montré sa vulnérabilité face à certains attentats, il y a eu des cas où sa capacité à réagir en matière de lutte antiterroriste a été démontrée. Il y a deux ans, la police arrêtait deux étudiants pour avoir fabriqué et possédé une bombe artisanale dans le but de « commettre un attentat ». Récemment, lors de l’alerte à la bombe à l’université de Concordia, les services de sécurité se sont déployés efficacement dans le secteur à la recherche d’une bombe, qui n’a jamais existé. L’opération s’est terminée par l’arrestation du suspect Hisham Saadi qui a dû répondre à trois chefs d’accusations dont l’une étant « l’incitation à craindre un attentat terroriste ».

QUE RESTE-T-IL DE LA VAGUE SOUVERAINISTE AU QUÉBEC ?

Rostom Seif, Montréal  

Alors que l’on fête, le 24 juillet prochain, les 50 ans de la fameuse visite du général Charles de Gaulle à Montréal avec son célèbre «Vive le Québec libre !» ayant galvanisé les foules, le débat autour de l’indépendance du Québec risque fortement de refaire surface au cours des mois qui vont suivre.

Bien qu’affichant un fort recul sur la scène politique québécoise, au vu d’un sondage CROP rendu public le 22 septembre 2016 révélant que la souveraineté ne recueillait plus que 36% d’appui, le rêve de l’indépendance n’est pas tout à fait mort pour autant. Certes, il est indéniable que la foi souverainiste affiche un déclin alarmant, notamment auprès des jeunes : 7 électeurs sur 10 âgés de 18 à 34 ans répondant non à la question «Voulez-vous que le Québec devienne indépendant ?». Même cas de figure auprès des indépendantistes québécois, à peine la moitié d’entre eux gardent l’espoir d’assister un jour à la création d’un État indépendant, suscitant une désillusion toujours plus grande. Ces données statistiques traduisent une certaine démobilisation au sein du camp du Oui, témoigne Youri Rivest, vice-président de la firme CROP «Le défi du camp du Oui, ce n’est pas tant de convaincre de la capacité du Québec d’être un pays indépendant, mais de dire : On va le faire. On va arrêter de perdre». Celui-ci estime, qu’à l’heure actuelle, il est avant tout primordial de rendre «pertinent», «actuel» et «tangible» le projet indépendantiste.

 

             PHOTO: BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Néanmoins, malgré ces résultats assez pessimistes, il n’en demeure pas moins que ce même sondage CROP nous apprend qu’une part non négligeable de la population québécoise (47%) considèrent que le Québec a la capacité de devenir un pays indépendant, ce qui nous renvoie inéluctablement au discours actuel sur l’état des finances publiques du Québec. D’autant plus, les décennies passées nous ont prouvé à maintes reprises qu’il serait irraisonnable de tirer des conclusions hâtives et catégoriques pour le long terme. En effet, lors des dernières décennies, bien des hommes politiques ainsi que de nombreux analystes ont fait part de la mort annoncée du mouvement souverainiste québécois, qui est, à leurs yeux, en voie d’être totalement marginalisé. L’exemple du premier ministre Pierre Trudeau s’avère particulièrement révélateur, celui-ci ayant annoncé, lors de l’été 1976, que «Le séparatisme est mort». Inutile de répliquer que ce dernier avait définitivement tort, le Parti québécois ayant remporté les élections trois mois plus tard en obtenant 41,37% des voix, faisant ainsi élire 71 députés. René Lévesque lui-même, qui dirigeait alors le parti, n’en croyait pas ses yeux, déclarant «Je n’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier des Québécois que ce soir».

Ce même élan funeste refit surface dans les années 1990. Au cours des mois précédant le référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec, plusieurs analystes, parmi eux ceux du quotidien La Presse, cherchaient à nous convaincre que les chances pour le Oui de remporter le référendum sont pratiquement nulles, se situant aux alentours de 40% des voix. Dès lors, la question qui accaparait tous les esprits était : Le oui va-t-il atteindre cette limite fixée par les analystes et les journalistes ? Et puis vint le grand jour du référendum, tenu le 30 octobre 1995. À la surprise générale, bien qu’ayant perdu, le Oui a obtenu 49,4% des voix et environ 60% du vote francophone. Les souverainistes ont donc frôlé la victoire, offrant par là-même une sérieuse preuve de leur vaste capacité de mobilisation populaire. Par conséquent, la tendance actuelle ne devrait pas nous induire à croire en la théorie déterministe affirmant la mort du mouvement souverainiste, celle-ci ayant été infirmée récemment par la Grande-Bretagne qui décida de sortir de l’Union Européenne. Qui l’eut cru ? Tout est donc exposé au changement, même ce qui paraît ancré à tout jamais.

LE QUÉBEC FACE A L’IMMIGRATION

Emma Massucci—Templier, Montréal          mai 2017

 

Quel modèle pour le Québec: le multiculturalisme canadien ou bien l’interculturalisme québécois?

Le Québec est très souvent vu comme un Eldorado, une province où l’immigration est forcément liée à l’intégration, et où le quotidien connaît automatiquement une amélioration. C’est cet espoir qui a poussé 49 024 étrangers à s’installer au Québec au cours de l’année 2015, une majorité venant de France, de Chine, d’Iran, de Syrie, d’Algérie ou bien encore du Maroc.

Avec la récente élection du 45ème Président des États-Unis, Donald Trump, connu pour son repli nationaliste incarné par le slogan « America First » et plus spécialement par l’instauration de son décret anti-migration, le Canada connaît une hausse sans précédent du nombre d’immigrés états-uniens.

Quel sort est réservé à ces nombreux immigrants, venant des États-Unis mais aussi du monde entier, en arrivant au Québec ?

Il est vrai que les québécois ont toujours été ouverts à l’immigration, avec notamment en 2007 48% des Québécois qui pensent que leur province devrait continuer à accueillir 45 000 personnes par an. Cependant, le multiculturalisme, pour lequel le Canada est devenu attractif pour les étrangers, énoncé par Charles Taylor, n’est pas toujours valable au Québec. En effet, les 90 000 adhérents au Parti Québécois qui soutiennent l’indépendance du Québec montrent qu’il existe un fossé entre le Québec et le reste du Canada.

 

Les principales raisons de ce désir de détachement sont exposées par le Bloc Québécois, parti prônant lui aussi l’indépendance du Québec: « Pour que le Québec se gouverne lui-même, selon ses principes et ses valeurs », « pour établir des politiques qui reflètent les valeurs du Québec », « pour établir des politiques économiques en fonction de nos intérêts »… Mais quelles sont ces valeurs, qui séparent le Québec du Canada?

 

Le multiculturalisme canadien est apparu dans les années 60, il s’agit d’un modèle de gestion de la diversité ethnoculturelle des nouveaux arrivants, basé sur la reconnaissance du bilinguisme, des droits des autochtones et le respect des droits de tous les Canadiens, sans distinction fondée sur l’origine, la langue ou la religion. Ce système est très attrayant pour les étrangers, comme le montre les données publiées par Statistiques Canada qui stipulent qu’en 2011, le Canada comptait au total environ 6 775 800 personnes immigrées, soit 20,6% de la population totale. Des études réalisées par General Social Survey (GSS) et Canadian Community Health Survey (CCHS) ont montré que la plupart des groupes d’immigrants vivant au Canada ont un niveau de vie plus satisfaisant que les populations vivant dans leur pays d’origine avec, parmi 43 groupes d’immigrants, 38 d’entre eux qui ont une satisfaction de vie qui dépasse celui des populations vivant dans leurs pays d’origines de plus de 0,5 points (sur une échelle du niveau de vie le plus insatisfaisant au plus satisfaisant). Cette satisfaction peut être expliquée par le fait que, comme publié par The Washington Post, le Canada est un des pays connaissant le moins de racisme, tandis qu’il occupe le deuxième rang parmi tous les pays au chapitre de la tolérance et de l’inclusion.

 

Pourtant, le Québec désire s’éloigner de ce système pour diverses raisons. Il dénonce une mosaïque ethnoculturelle canadienne, où le multiculturalisme est néfaste tandis que les différentes et nombreuses ethnies vivant au Canada ne se perçoivent pas comme faisant partie de la même nation, qu’ils vivent sur un même territoire, mais ne peuvent véritablement « vivre ensemble » à cause de la barrière des valeurs et des cultures, qui les divisent et qui contribue au profilage racial. Le profilage racial se définit comme un comportement discriminatoire réel ou perçu de la part d’une autorité à l’égard d’un groupe d’individus en fonction de leur origine ethnique, nationale ou encore religieuse. Le profilage racial au Québec a pris de l’ampleur en 2003 et représente un vrai handicap pour la province aujourd’hui tandis que, par exemple en 2014 la Cour d’appel du Québec a confirmé un cas de profilage racial alors que quatre « africains » ont été victimes de discrimination dans un bar de Terrebonne ou encore en 2015 lorsqu’un immigrant a été interpelé par des agents de la Sécurité publique de Trois-Rivières qui l’ont questionné sur son identité et sa présence dans la ville sans motif apparent.

 

Aujourd’hui, les immigrants arrivants au Québec souffrent de nombreuses inégalités. Au niveau de l’embauche, bien que la discrimination à l’embauche soit interdite en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, les discriminations sont bien réelles. En novembre 2012, l’Institut de Recherche et d’Informations Socio-économiques (IRIS) a prouvé ce fait, bien que l’étude publiée sur leur site internet ait été supprimée depuis. Selon l’IRIS, plus de la moitié des personnes arrivées au pays dans les cinq années précédentes occupaient un emploi pour lequel elles étaient surqualifiées. De plus, le taux de chômage des immigrants au Québec est presque le double de celui des personnes nées au Québec, et dans le cas des diplômés universitaires, le taux de chômage des immigrants détenteurs d’un baccalauréat est trois fois plus élevé que celui d’un natif. Par ailleurs, malgré leur niveau d’étude, les immigrants gagnent moins bien leur vie que les natifs, avec un revenu représentant en moyenne 82,9% de celui des personnes n’ayant pas immigré.

 

Les femmes sont d’autant plus touchées par ce type de discriminations tandis que 46% d’entre elles se trouvent en situation de surqualification, et qu’elles disposent d’un revenu moyen qui représente 90% de celui des femmes natives et 60% de celui des hommes nés au Québec.

 

Le multiculturalisme canadien se différencie quelque peu de l’interculturalisme québécois, que souhaite mettre en place le parti indépendantiste québécois pour remédier aux failles du système actuel. Celui-ci est basé sur la langue française comme langue publique commune et favorise les rapports entre les minorités ethnoculturelles et la culture de la majorité française tout en invitant les groupes minoritaires à conserver leur héritage, à manifester leur présence et leurs propres valeurs. Le Québec montre là sa volonté de construire une société égalitaire et inclusive, de façon à pouvoir vivre ensemble et en harmonie.

 

Les statistiques, elles, nous racontent une autre histoire.

 

En effet, cette politique est contradictoire avec le sondage réalisé par la maison CROP et publié par Radio Canada. Il a été montré que 26% de la population québécoise pensent que le fait d’avoir un nombre croissant d’ethnies et de nationalités différentes fait du Canada un moins bon endroit où vivre, cette proportion est réduite de cinq points de pourcentages chez les canadiens. De plus, 67% des québécois sont d’accord avec l’idée que les immigrants devraient mettre de côté leur culture et adopter la culture canadienne, ce qui contredit les principes fondamentaux de l’interculturalisme et du multiculturalisme.

 

De plus, le Bloc Québécois souhaite se détacher du système canadien pour « accueillir et inclure pleinement les nouveaux arrivants », mais les statistiques nous prouvent là encore le contraire tandis que 32% de la population québécoise pensent qu’il faudrait interdire l’immigration musulmane, et 42% trouvent que l’accueil de 40000 réfugiés syriens au Canada a été une mauvaise décision. Ce n’est pas tout. En 2012, la mise en place de la nouvelle politique du gouvernement du Québec par Philippe Couillard, « Ensemble, nous sommes le Québec », va là encore à l’encontre des principes de l’interculturalisme tandis qu’elle s’appuie sur trois idées principales : mieux sélectionner, mieux intégrer et mieux vivre ensemble. Face à quoi, Julia Posca, auteure du rapport de l’IRIS, réagit : « la nouvelle politique en matière d’immigration, de participation et d’inclusion promet d’arrimer l’immigration aux besoins des entreprises, mais ne peut garantir qu’elle réduira les inégalités entre personnes natives et personnes immigrantes. »

 

Où se trouve donc le Québec? Dans le multiculturalisme canadien? L’interculturalisme québécois? Ou bien l’interculturalisme québécois ne serait-il qu’une façade pour restreindre l’immigration et l’intégration dans un Québec de moins en moins accueillant? 

 

QUE RESTE-T-IL DE LA VAGUE SOUVERAINISTE AU QUÉBEC ?

Rostom Seif, Montréal  

Alors que l’on fête, le 24 juillet prochain, les 50 ans de la fameuse visite du général Charles de Gaulle à Montréal avec son célèbre «Vive le Québec libre !» ayant galvanisé les foules, le débat autour de l’indépendance du Québec risque fortement de refaire surface au cours des mois qui vont suivre.

Bien qu’affichant un fort recul sur la scène politique québécoise, au vu d’un sondage CROP rendu public le 22 septembre 2016 révélant que la souveraineté ne recueillait plus que 36% d’appui, le rêve de l’indépendance n’est pas tout à fait mort pour autant. Certes, il est indéniable que la foi souverainiste affiche un déclin alarmant, notamment auprès des jeunes : 7 électeurs sur 10 âgés de 18 à 34 ans répondant non à la question «Voulez-vous que le Québec devienne indépendant ?». Même cas de figure auprès des indépendantistes québécois, à peine la moitié d’entre eux gardent l’espoir d’assister un jour à la création d’un État indépendant, suscitant une désillusion toujours plus grande. Ces données statistiques traduisent une certaine démobilisation au sein du camp du Oui, témoigne Youri Rivest, vice-président de la firme CROP «Le défi du camp du Oui, ce n’est pas tant de convaincre de la capacité du Québec d’être un pays indépendant, mais de dire : On va le faire. On va arrêter de perdre». Celui-ci estime, qu’à l’heure actuelle, il est avant tout primordial de rendre «pertinent», «actuel» et «tangible» le projet indépendantiste.

PHOTO: BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Néanmoins, malgré ces résultats assez pessimistes, il n’en demeure pas moins que ce même sondage CROP nous apprend qu’une part non négligeable de la population québécoise (47%) considèrent que le Québec a la capacité de devenir un pays indépendant, ce qui nous renvoie inéluctablement au discours actuel sur l’état des finances publiques du Québec. D’autant plus, les décennies passées nous ont prouvé à maintes reprises qu’il serait irraisonnable de tirer des conclusions hâtives et catégoriques pour le long terme. En effet, lors des dernières décennies, bien des hommes politiques ainsi que de nombreux analystes ont fait part de la mort annoncée du mouvement souverainiste québécois, qui est, à leurs yeux, en voie d’être totalement marginalisé. L’exemple du premier ministre Pierre Trudeau s’avère particulièrement révélateur, celui-ci ayant annoncé, lors de l’été 1976, que «Le séparatisme est mort». Inutile de répliquer que ce dernier avait définitivement tort, le Parti québécois ayant remporté les élections trois mois plus tard en obtenant 41,37% des voix, faisant ainsi élire 71 députés. René Lévesque lui-même, qui dirigeait alors le parti, n’en croyait pas ses yeux, déclarant «Je n’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier des Québécois que ce soir».

Ce même élan funeste refit surface dans les années 1990. Au cours des mois précédant le référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec, plusieurs analystes, parmi eux ceux du quotidien La Presse, cherchaient à nous convaincre que les chances pour le Oui de remporter le référendum sont pratiquement nulles, se situant aux alentours de 40% des voix. Dès lors, la question qui accaparait tous les esprits était : Le oui va-t-il atteindre cette limite fixée par les analystes et les journalistes ? Et puis vint le grand jour du référendum, tenu le 30 octobre 1995. À la surprise générale, bien qu’ayant perdu, le Oui a obtenu 49,4% des voix et environ 60% du vote francophone. Les souverainistes ont donc frôlé la victoire, offrant par là-même une sérieuse preuve de leur vaste capacité de mobilisation populaire. Par conséquent, la tendance actuelle ne devrait pas nous induire à croire en la théorie déterministe affirmant la mort du mouvement souverainiste, celle-ci ayant été infirmée récemment par la Grande-Bretagne qui décida de sortir de l’Union Européenne. Qui l’eut cru ? Tout est donc exposé au changement, même ce qui paraît ancré à tout jamais.

LE QUÉBEC FACE A L’IMMIGRATION

Emma Massucci—Templier, Montréal   

 

Quel modèle pour le Québec: le multiculturalisme canadien ou bien l’interculturalisme québécois?

Le Québec est très souvent vu comme un Eldorado, une province où l’immigration est forcément liée à l’intégration, et où le quotidien connaît automatiquement une amélioration. C’est cet espoir qui a poussé 49 024 étrangers à s’installer au Québec au cours de l’année 2015, une majorité venant de France, de Chine, d’Iran, de Syrie, d’Algérie ou bien encore du Maroc.

Avec la récente élection du 45ème Président des États-Unis, Donald Trump, connu pour son repli nationaliste incarné par le slogan « America First » et plus spécialement par l’instauration de son décret anti-migration, le Canada connaît une hausse sans précédent du nombre d’immigrés états-uniens.

Quel sort est réservé à ces nombreux immigrants, venant des États-Unis mais aussi du monde entier, en arrivant au Québec ?

Il est vrai que les québécois ont toujours été ouverts à l’immigration, avec notamment en 2007 48% des Québécois qui pensent que leur province devrait continuer à accueillir 45 000 personnes par an. Cependant, le multiculturalisme, pour lequel le Canada est devenu attractif pour les étrangers, énoncé par Charles Taylor, n’est pas toujours valable au Québec. En effet, les 90 000 adhérents au Parti Québécois qui soutiennent l’indépendance du Québec montrent qu’il existe un fossé entre le Québec et le reste du Canada.

 

Les principales raisons de ce désir de détachement sont exposées par le Bloc Québécois, parti prônant lui aussi l’indépendance du Québec: « Pour que le Québec se gouverne lui-même, selon ses principes et ses valeurs », « pour établir des politiques qui reflètent les valeurs du Québec », « pour établir des politiques économiques en fonction de nos intérêts »… Mais quelles sont ces valeurs, qui séparent le Québec du Canada?

 

Le multiculturalisme canadien est apparu dans les années 60, il s’agit d’un modèle de gestion de la diversité ethnoculturelle des nouveaux arrivants, basé sur la reconnaissance du bilinguisme, des droits des autochtones et le respect des droits de tous les Canadiens, sans distinction fondée sur l’origine, la langue ou la religion. Ce système est très attrayant pour les étrangers, comme le montre les données publiées par Statistiques Canada qui stipulent qu’en 2011, le Canada comptait au total environ 6 775 800 personnes immigrées, soit 20,6% de la population totale. Des études réalisées par General Social Survey (GSS) et Canadian Community Health Survey (CCHS) ont montré que la plupart des groupes d’immigrants vivant au Canada ont un niveau de vie plus satisfaisant que les populations vivant dans leur pays d’origine avec, parmi 43 groupes d’immigrants, 38 d’entre eux qui ont une satisfaction de vie qui dépasse celui des populations vivant dans leurs pays d’origines de plus de 0,5 points (sur une échelle du niveau de vie le plus insatisfaisant au plus satisfaisant). Cette satisfaction peut être expliquée par le fait que, comme publié par The Washington Post, le Canada est un des pays connaissant le moins de racisme, tandis qu’il occupe le deuxième rang parmi tous les pays au chapitre de la tolérance et de l’inclusion.

 

Pourtant, le Québec désire s’éloigner de ce système pour diverses raisons. Il dénonce une mosaïque ethnoculturelle canadienne, où le multiculturalisme est néfaste tandis que les différentes et nombreuses ethnies vivant au Canada ne se perçoivent pas comme faisant partie de la même nation, qu’ils vivent sur un même territoire, mais ne peuvent véritablement « vivre ensemble » à cause de la barrière des valeurs et des cultures, qui les divisent et qui contribue au profilage racial. Le profilage racial se définit comme un comportement discriminatoire réel ou perçu de la part d’une autorité à l’égard d’un groupe d’individus en fonction de leur origine ethnique, nationale ou encore religieuse. Le profilage racial au Québec a pris de l’ampleur en 2003 et représente un vrai handicap pour la province aujourd’hui tandis que, par exemple en 2014 la Cour d’appel du Québec a confirmé un cas de profilage racial alors que quatre « africains » ont été victimes de discrimination dans un bar de Terrebonne ou encore en 2015 lorsqu’un immigrant a été interpelé par des agents de la Sécurité publique de Trois-Rivières qui l’ont questionné sur son identité et sa présence dans la ville sans motif apparent.

 

Aujourd’hui, les immigrants arrivants au Québec souffrent de nombreuses inégalités. Au niveau de l’embauche, bien que la discrimination à l’embauche soit interdite en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, les discriminations sont bien réelles. En novembre 2012, l’Institut de Recherche et d’Informations Socio-économiques (IRIS) a prouvé ce fait, bien que l’étude publiée sur leur site internet ait été supprimée depuis. Selon l’IRIS, plus de la moitié des personnes arrivées au pays dans les cinq années précédentes occupaient un emploi pour lequel elles étaient surqualifiées. De plus, le taux de chômage des immigrants au Québec est presque le double de celui des personnes nées au Québec, et dans le cas des diplômés universitaires, le taux de chômage des immigrants détenteurs d’un baccalauréat est trois fois plus élevé que celui d’un natif. Par ailleurs, malgré leur niveau d’étude, les immigrants gagnent moins bien leur vie que les natifs, avec un revenu représentant en moyenne 82,9% de celui des personnes n’ayant pas immigré.

 

Les femmes sont d’autant plus touchées par ce type de discriminations tandis que 46% d’entre elles se trouvent en situation de surqualification, et qu’elles disposent d’un revenu moyen qui représente 90% de celui des femmes natives et 60% de celui des hommes nés au Québec.

 

Le multiculturalisme canadien se différencie quelque peu de l’interculturalisme québécois, que souhaite mettre en place le parti indépendantiste québécois pour remédier aux failles du système actuel. Celui-ci est basé sur la langue française comme langue publique commune et favorise les rapports entre les minorités ethnoculturelles et la culture de la majorité française tout en invitant les groupes minoritaires à conserver leur héritage, à manifester leur présence et leurs propres valeurs. Le Québec montre là sa volonté de construire une société égalitaire et inclusive, de façon à pouvoir vivre ensemble et en harmonie.

 

Les statistiques, elles, nous racontent une autre histoire.

 

En effet, cette politique est contradictoire avec le sondage réalisé par la maison CROP et publié par Radio Canada. Il a été montré que 26% de la population québécoise pensent que le fait d’avoir un nombre croissant d’ethnies et de nationalités différentes fait du Canada un moins bon endroit où vivre, cette proportion est réduite de cinq points de pourcentages chez les canadiens. De plus, 67% des québécois sont d’accord avec l’idée que les immigrants devraient mettre de côté leur culture et adopter la culture canadienne, ce qui contredit les principes fondamentaux de l’interculturalisme et du multiculturalisme.

 

De plus, le Bloc Québécois souhaite se détacher du système canadien pour « accueillir et inclure pleinement les nouveaux arrivants », mais les statistiques nous prouvent là encore le contraire tandis que 32% de la population québécoise pensent qu’il faudrait interdire l’immigration musulmane, et 42% trouvent que l’accueil de 40000 réfugiés syriens au Canada a été une mauvaise décision. Ce n’est pas tout. En 2012, la mise en place de la nouvelle politique du gouvernement du Québec par Philippe Couillard, « Ensemble, nous sommes le Québec », va là encore à l’encontre des principes de l’interculturalisme tandis qu’elle s’appuie sur trois idées principales : mieux sélectionner, mieux intégrer et mieux vivre ensemble. Face à quoi, Julia Posca, auteure du rapport de l’IRIS, réagit : « la nouvelle politique en matière d’immigration, de participation et d’inclusion promet d’arrimer l’immigration aux besoins des entreprises, mais ne peut garantir qu’elle réduira les inégalités entre personnes natives et personnes immigrantes. »

 

Où se trouve donc le Québec? Dans le multiculturalisme canadien? L’interculturalisme québécois? Ou bien l’interculturalisme québécois ne serait-il qu’une façade pour restreindre l’immigration et l’intégration dans un Québec de moins en moins accueillant?