SECRET BIEN GARDÉ : L’ extrême droite au Québec

Sarah Rebba, Montréal  

Pas chez nous. Pas au Québec. Un tel événement ne peut pas se produire ici, c’est impossible. Voici les premières réactions des québécois, témoins de l’horreur le 29 janvier 2017 alors que la grande mosquée de Québec est le théâtre d’une fusillade qui fera six morts et huit blessés parmi les fidèles, initialement en train de prier et l’instant d’après, atteints par les tirs d’un pistolet 9 mm.  Le choc est immense : alors que les attentats terroristes sont presque devenus monnaie courante de l’autre côté de l’Atlantique, le Québec se croit encore, à l’époque, à l’abri de telles tragédies. Mais la haine a fini par se libérer ici aussi, sous forme d’actes au caractère indicible.

Le lendemain est organisée une grande manifestation, une sorte de veillée funèbre, pour soutenir les familles des victimes en deuil. Des milliers de personnes se rassemblent à l’arrière de l’Église Notre-Dame-de-Foy pour manifester leur solidarité à la communauté musulmane, leur signifier leur engagement dans la lutte contre le racisme et  l’islamophobie, des cancers qui visent la stigmatisation d’une communauté qui a sa place dans la province.

L’Assemblée nationale compte quatre partis politiques représentés : le Parti libéral du Québec, le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire. Tous les chefs de partis se sont frayé un chemin dans la masse manifestante pour prononcer un discours qui s’est voulu de soutien et de réconfort aux Québécois, et plus particulièrement aux musulmans vivant au Québec. Sans compter le Premier ministre canadien  Justin Trudeau qui a vivement condamné les actes perpétrés à l’encontre de cette communauté : « Nous n’acceptons pas cette haine. » martèle-t-il. Il prononce ensuite la liste des victimes d’une voix douloureuse, puis tente de rassurer les musulmans en insistant sur la dimension démocratique et fondamentale de la liberté de culte, sur un ton qui se veut sans appel : « nous protégerons et défendrons toujours votre droit de vous rassembler et de prier, aujourd’hui et tous les jours».

Il reste cependant que cette  vague de solidarité n’est pas l’initiative de l’ensemble des Québécois. Le type de régime en vigueur au Canada ne permet pas la représentation de toutes les sensibilités politiques. Et c’est tant mieux, se dit-on, face à la menace nationaliste et populiste qui gronde en Europe, et qui s’est concrétisée juste de l’autre côté de la frontière. Mais cet angélisme canadien semble bien dorénavant n’être qu’une façade. L’attentat a réveillé de vieux démons. Le Québec a aussi connu des heures sombres par le passé.

@La Presse

Adrien Arcand, autrefois surnommé le Führer canadien, est une  figure de proue de la mouvance fasciste au Québec dans les années 30. Il fonde en 1933 le Parti National social-chrétien du Canada (1500 membres actifs au Québec à l’époque).

Source : Jean-François Nadeau, historien

Il est évidemment question de l’extrême droite, une tendance qui alimente la peur, à laquelle on ne faisait pas allusion avant l’attentat, mais qui demeure centrale à analyser aujourd’hui pour faire apparaître une réalité qu’il est préférable de ne pas taire. Il faut briser le silence sur un sujet qui provoque le malaise sur une terre d’immigration. Prenons le cas de la France. L’Hexagone a assimilé un mécanisme essentiel en « légalisant » le parti d’extrême droite le Front national, il y a 45 ans. Il s’agissait alors de libérer la parole violente pour mieux canaliser cette violence et éviter qu’elle ne se traduise en actes de haine comme ça été le cas le 29 janvier dernier à Ste-Foy. Faut-il autoriser les partis extrêmes à se représenter dans le paysage politique québécois? La question demeure en suspens. On ne peut nier néanmoins l’existence de groupuscules d’extrême droite qui y prospèrent aujourd’hui. En effet, selon le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), la Belle province est celle qui en abriterait le plus au Canada : entre 20 et 25 contre 18 à 20 en Ontario et 12 à 15 en Colombie-Britannique. Très actifs sur les réseaux sociaux, certains se sont immédiatement dissociés de la tragédie du 29/01, ignorant ou feignant d’ignorer l’impact de leur discours sur certains esprits. « La violence de l’extrême droite s’est située jusqu’ici dans l’espace du discours. Mais ces groupes ne contrôlent pas leurs membres. Le fait qu’ils se dissocient d’une action particulière ne change rien au fait qu’ils charrient des messages de haine, des théories complotistes, un discours de rejet de l’autre qui en appelle à la violence. », a dénoncé Herman Okomba-Deparice, le directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Les groupuscules d’extrême droite ne sont cependant pas les seuls éléments actifs occupés à diffuser des discours qui font l’apologie de l’intolérance et de la haine. Je fais référence ici aux radios d’opinions de la capitale, Québec, soit les radios-poubelles. «Plus il y a de violence, plus il faut s’attendre à des gestes violents. Bien sûr, on ne pouvait pas prédire une fusillade terrible qui fait six morts comme celle de la Grande Mosquée. Cependant, dans ce contexte, je ne suis pas étonnée de voir que des groupes d’extrême droite sont de plus en plus présents. Et on ne dit rien au nom de la liberté d’expression.» déclare  une ex-professeure de l’Université Laval, Diane Vincent. Bien qu’indirect, elle explique que le lien existe bel et bien entre le discours des radios d’opinion et la montée des discours de haine au Québec, qui font la fortune de l’extrême droite.

La capitale provinciale, Québec, est devenue progressivement le nid de cette extrême droite de plus en plus visible et décomplexée. 1 signalement sur 5 effectué auprès du Centre de prévention contre la radicalisation à Montréal proviendrait de la région de Québec. « À Québec, il y a un contexte qu’on ne peut pas nier qui est entre autres entretenu par les médias que certains appellent les radios-poubelles. Je ne suis pas en train de dire que c’est ce qui propulse ces groupes-là, mais, quelque part, ça aide aussi à les banaliser. », précise Aurélie Campana, détentrice de la Chaire de recherche sur les conflits et le terrorisme à l’Université de Laval, en accord avec l’ex-professeure citée précédemment, Diane Vincent. Atalante-Québec, groupuscule extrémiste basé dans la capitale, concentrerait entre 175 et 200 membres actifs. Ceux-ci organisent des marches dans les rues du centre-ville et affublent les poteaux d’autocollants islamophobes incitant à la haine tels que « Burn your local mosque » (« Brûle ta mosquée locale »).

@Le Devoir

Aujourd’hui au Québec, l’extrême droite sort de l’ombre progressivement, affichant des positions qui reflètent le repli identitaire d’une partie de la population. « La différence ne tient pas aux moyens d’action et au public ciblé, mais plus à une couche de complexité qui tient en particulier à l’existence de tout le discours identitaire au Québec. Il y a au Québec des groupes qui ancrent leur discours dans un nationalisme québécois très exclusif qui n’a rien à voir avec le nationalisme québécois dominant. Ils ont un discours anti-immigration, de plus en plus anti-musulman. », observe Aurélie Campana, détentrice de la Chaire de recherche sur les conflits et le terrorisme à l’Université Laval. Elle remarque également un phénomène plutôt inquiétant, soit le tissage d’une sorte de toile extrémiste, reliant de par le monde des groupuscules aux idéaux archaïques : « Ceux du Québec sont insérés dans des réseaux à majorité francophone. Ils sont en relation avec des groupes d’extrême droite en France, en Belgique, en Suisse. Ça, on ne le retrouve pas ailleurs au Canada. ».

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