L’Isthme du Darien … Un nouveau couloir migratoire en Amérique (Partie 1/2)
Louis G.K. Ferrand, Bogotá
Peu connu en Europe, l’isthme du Darien séparant la Colombie du Panama est maintenant devenu pour la plupart des organisations humanitaires en charge de la problématique des migrants, le point de passage obligatoire pour toute personne sans papier souhaitant rejoindre illégalement les Etats Unis d’Amérique. L’isthme du Darien est une zone où la violence est récurrente de par la présence de mouvements armés et de différents groupes criminels liés à la production de drogue et au transit d’armes. On retrouve parmi ces acteurs criminels tristement célèbres, les cartels de Cali et de Medellin. Depuis 2015, on observe une augmentation significative du nombre de ces populations de migrants franchissant la frontière. Ils seraient près de 38 000 migrants à être passés en 2017. Non seulement ils sont soumis à de nombreux dangers, mais leur passage représente également une source de problèmes dans ces régions latines et d’Amériques centrales déjà très instables.
Le golfe et l’isthme du Darien sont la frontière naturelle entre la Colombie et le Panama. Il représente également le passage entre deux zones géographiques : l’Amérique du Sud du côté colombien et l’Amérique Centrale avec le Panama. La frontière est particulièrement peu développée car aucune route terrestre ne traverse le massif montagneux qui est recouvert d’une jungle très dense avec des pics s’élevant à près de 1.845 mètres d’altitude. Cette zone fait environ 160 kilomètres de long entre les deux pays pour une largeur maximum de 50 kilomètres à certains endroits entre la Mer Caraïbe et l’Océan Pacifique. Les géographes appellent cette zone « le bouchon du Darien » car c’est le seul endroit entre le grand nord de l’Alaska et le grand sud du Chili où la mythique route Panaméricaine est interrompue. Les principales causes de cette rupture sont dues à des facteurs physiques, un massif montagneux très peu favorable à la construction d’une autoroute auxquels s’ajoutent des conflits armés opposants des guérillas marxistes, des groupes paramilitaires et l’armée colombienne.
Ces conflits remontent historiquement à la guerre civile que la Colombie a connu ces 50 dernières années. Aujourd’hui suite à la signature de l’accord de paix avec les FARC, on pouvait espérer que la situation se soit calmée. Malheureusement, le vide créé par le désarmement des FARC a attiré de nouveaux acteurs militaro-mafieux fortement liés au trafic de drogue, d’armes et d’exploitation illégale de ressources naturelles. La frontière entre le Panama et la Colombie est très difficilement contrôlable car c’est une zone où aucune infrastructure publique et privée n’a été construite. Cette zone stratégique frontalière a attiré la curiosité lorsque certains pécheurs de la région, ont commencé à remonter des corps de la mer qui présentaient des caractéristiques propres aux peuples asiatiques et africains. Des corps sur lesquelles ont été trouvés des documents d’identités émis par le Bangladesh ou la Somalie, soit des personnes très éloignées de leurs pays d’origine. Les autorités ont également été étonnées par la présence de plus en plus nombreuse de migrants internationaux lors des contrôles de routine effectués dans cette zone.
On peut cependant souligner que le Darien a toujours été soumis à des migrations internationales. Pendant les années 1980, de nombreux colombiens ont fui leur pays en proie à des conflits politiques, idéologiques et criminels. Nombre de cubains ont également opté pour cet itinéraire afin de fuir le régime Castro. Un itinéraire dangereux mais où les probabilités de se faire capturer par les forces de régulation des migrants illégaux autour de Cuba sont beaucoup moins élevées qu’un trajet la Havana-Miami.
Il est difficile d’estimer le nombre de migrants traversant la frontière colombo-panaméenne mais certaines personnes évoquent le passage de toutes les nationalités du monde, exception faite de ressortissants de Papouasie Nouvelle Guinée. Avant l’explosion du nombre de migrants, Il existait deux routes traditionnelles. La première était maritime. Celle-ci reliait illégalement deux ports, l’un en Colombie et le second au Panama. Le port colombien de Turbo est à ce jour, toujours la plaque tournante de l’immigration illégale de la Colombie vers le Panama. Avant 2015, la route maritime se terminait dans le port de Puerto Escocés de l’autre côté de la frontière. Cet itinéraire avait un coût humain et financier beaucoup moins élevé pour les migrants que le second. Le passage était le plus souvent assuré par des pêcheurs de la côte et le prix d’un billet pour le Panama s’élevait alors, entre 200 et 400 dollars par personne. Mais dans un pays où le salaire moyen est de 583 dollars (Banque Mondiale 2018), les groupes criminels ont commencé alors à s’emparer du trafic.
Après 2015, les relations internationales entre la Colombie et le Panama ont subi des changements. Autant l’immigration de quelques milliers de personnes par an était tolérée par les autorités panaméennes, celle de dizaines de milliers par mois ne l’était plus. Un accord Colombie / Panama était nécessaire. Les grands points de ce traité impliquent de nouvelles procédures envers les migrants : lors d’un contrôle d’une personne sans papiers sur le sol colombien, on attribuerait une sorte de visa temporaire au migrant à son lieu d’entrée en Colombie. Dans les faits, cette attribution n’a qu’un seul but, celui d’un transit plus rapide des migrants internationaux en Colombie vers le Panama. En effet, la Colombie possède la triste première place du plus grand nombre de déplacés internes devant même la Syrie. Les autorités n’ont donc aucun intérêt à ralentir ces flux de personnes voulant absolument rejoindre les Etats Unis et le Canada, et en aucun cas, s’installer en Colombie pays déjà débordé par ses problèmes internes.
La seconde route, la seule utilisée aujourd’hui débute toujours dans la ville colombienne de Turbo. Les migrants rejoignent avec des navettes tolérées par les autorités colombiennes, le port de Sapzurro qui est la dernière ville en Colombie avant la frontière panaméenne. C’est à partir de là que l’étape la plus dangereuse d’une longue marche meurtrière commence. Prenons l’exemple d’un migrant X : Après avoir payé son billet à un passeur surnommé « coyote » il doit affronter une marche éreintante de 6 jours afin de rejoindre le Panama. L’entreprise de ce voyage au milieu de la jungle nécessite une condition physique certaine et un matériel adéquat que la plupart des migrants ne possèdent pas. On trouve sur ce chemin des personnes de toutes les générations, personnes âgées, enfants en bas âge et femmes enceintes. Les guides et le groupe n’attendent pas les retardataires qui sont donc abandonnés dans la jungle. Un abandon par le groupe signifie une mort certaine. En effet, la jungle qu’ils doivent traverser est totalement vierge de toute présence des deux états. Les dangers sont nombreux, faim soif, humidité, embuscades. Les migrants représentent de l’argent et les différents acteurs criminels de la zone cherchent à s’en emparer. Ainsi de nombreux migrants sont dépouillés de tous leurs biens par leurs guides ou lors d’embuscade. On mentionne également des rapts et des viols. Certaines guides demanderaient également en plus des dollars, le transport de cocaïne et d’armes entre les deux pays.
Et si par malheur, le groupe rencontre les forces de régulation des frontières du Panama … les migrants sont alors incarcérés jusqu’à une déportation vers leurs pays d’origine. Ce qui voudrait dire pour certaines personnes de revenir à leurs pays d’origine après avoir tout abandonné et tout vendu pour acquérir le pécule de dollars nécessaire à l’entreprise de ce voyage à haut risque.