Colombie – Venezuela: crise sur la frontière

 

Louis G. K. Ferrand, Bogotá   

Une crise diplomatique, humanitaire et migratoire a lieu entre la Colombie gouvernée par le président de centre-droit Juan Manuel Santos et le Venezuela présidé par le socialiste Bolivarien Nicolás Maduro. Pour restituer le contexte, le Venezuela connaît dès l’été 2014 de graves troubles politiques depuis la baisse importante des cours du pétrole. Les Pétrodollars représentaient une manne financière dont le Venezuela ne pouvait se passer pour la viabilité de son fonctionnement car ces revenus liés à l’or noir représentaient avant la crise, 96 % de ses gains. La Colombie est quant à elle dans une période de renouveau à la suite de la signature d’un traité de paix entre le gouvernement et la principale force d’opposition, les FARC-EP. Pourtant les territoires contrôlés par les guérillas communistes sont peu à peu repris par les groupes narco trafiquants. Un problème est chassé par un autre.

 

La Colombie aspire à une place plus importante et majeure sur l’échiquier international. Elle souhaite devenir la nouvelle puissance régionale en l’Amérique latine et reste en quête d’une respectabilité internationale plus forte. Le gouvernement de Nicolás Maduro cherche quant à lui à garder sa place de puissance militaire régionale mais qui est déstabilisée par de graves troubles sociaux. Il doit parvenir à démontrer à ses citoyens que son pouvoir, certes fragilisé, a encore les moyens de répondre et si besoin de repousser les rodomontades de ses voisins.

Le réchauffement de la crise entre les deux pays est dû au communiqué du gouvernement de Nicolás Maduro daté du 19 août 2015 qui déclare la volonté des autorités vénézuéliennes de refréner l’expansion du para militarisme en Colombie. En effet, ce gouvernement de gauche a aidé les forces d’opposition marxistes luttant contre le gouvernement Colombien et qui ont des idéologies similaires. Ce n’est qu’une étape de plus dans l’escalade des tensions présentes depuis longtemps déjà. Seulement, la situation a changé depuis les années 1990 car les rôles ont été intervertis. En effet, le Venezuela qui était à l’époque un pays prospère est maintenant proche d’une guerre civile généralisée dans tout le pays. La Colombie qui était en proie à de graves troubles sociaux liés aux guérillas et groupes paramilitaires a maintenant retrouvé une stabilité et une croissance positive (2 % en 2016). Ce communiqué est la réponse du gouvernement de la république Bolivarienne qui, selon sa version, est le résultat d’une embuscade contre la force publique vénézuélienne par un groupe paramilitaire opérant dans la zone frontalière.

Cela aboutit à la mise en place de l’état d’exception dans plusieurs municipalités des États de Táchira, de Zulia, d’Apure et d’Amazonas, états limitrophes avec la Colombie. Cet état d’exception provoque des exercices militaires importants proches de la frontière et attribue des pouvoirs spéciaux aux militaires et autres forces de sécurité, y compris des groupes civils organisés afin de maintenir l’ordre et défendre le pays d’une agression extérieure. Cet état d’exception, amplifie l’état d’urgence économique et il permet au gouvernement de prendre le contrôle des sources d’approvisionnement, d’aliments et de produits de première nécessité ainsi que les sources d’énergies pour faire face à la pénurie qui frappe le pays. Cet état d’exception a aussi provoqué la fermeture de certaines portions de la frontière entre les deux pays.

Cette fermeture des frontières entre les deux pays intervient avec le départ et l’expulsion de certains des 20 000 ressortissants Colombiens résidents au Venezuela, dont plus de 85 % volontairement selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Le 27 août 2015, une rencontre est prévue au niveau du pont international Simón Bolívar reliant les deux pays mais elle n’a finalement pas lieu car le représentant de Nicolás Maduro ne permet pas au représentant Colombien de rentrer sur le territoire vénézuélien afin de traiter du sujet des migrants. Dans la foulée, Bogotá rappelle son ambassadeur au Venezuela. C’est la première fois en cinq ans de présidence que J.M. Santos décide de faire revenir son ambassadeur, alors qu’il tentait jusqu’alors de rétablir de bonnes relations entre les deux pays, relations qui étaient très tendues. Le gouvernement vénézuélien réplique en faisant de même avec son ambassadeur en poste à Bogotá.

Delcy Rodríguez, qui est l’actuelle présidente de l’Assemblée nationale du Venezuela et qui fut la ministre des Relations extérieures de 2014 à juin 2017, déclara à cette occasion que « les relations avec la Colombie vont être totalement revues en raison des agressions auxquelles fait face son peuple du fait des paramilitaires et de la guerre économique ». Une citation qui montre bien les problèmes à venir.

La frontière colombo vénézuélienne est actuellement soumise à de fortes tensions du fait que de très nombreux vénézuéliens fuient le pays en réaction à la grave crise économique et aux problèmes de violence et de corruption de l’Etat qui réduit le champs des libertés personnelles. En effet, la plupart des pouvoirs constitutionnels sont aux mains du parti de Nicolás Maduro. Le président de la république française Emmanuel Macron déplore à ce sujet, « les atteintes répétées à l’état de droit et aux droits de l’homme, il a également souligné l’inquiétude de la France face à la dégradation de la situation humanitaire au Venezuela et ses répercussions sur les pays voisins, [regrettant que] les autorités vénézuéliennes continuent à refuser toute aide internationale. »

Les chiffres illustrant ces exodes massifs sont assez impressionnants car selon Christian Krüger, directeur du service colombien des migrations, le pays compte déjà 600 000 Vénézuéliens, un chiffre qui pourrait dépasser le million d’ici à quelques mois. Officieusement, on parle de deux millions de Vénézuéliens présents en Colombie tantôt   légaux tantôt clandestins. La Colombie voit arriver plus de cent mille personnes chaque mois sur son territoire. La frontière longue de 2.219 km est bien poreuse et cela malgré les nouvelles mesures de contrôles migratoires, lesquelles comprennent le déploiement de 2000 soldats et la création d’un Groupe Spécial Migratoire (GEM), qui sera chargé d’accentuer les contrôles et de veiller aux « troubles à l’ordre public ». Ces nouvelles mesures annoncées, plus sécuritaires qu’humanitaires, vont rendre les populations qui fuient le Venezuela encore plus vulnérables, les poussant dans les mains des passeurs, et des groupes criminels. Les mesures migratoires vont également dégrader encore plus les conditions de vie des Vénézuéliens car le passage de la frontière permettait à certains de se faire soigner ou bien de ramener un peu de nourriture. Selon l’ONU, chaque semaine, cinq ou six enfants meurent de dénutrition au Venezuela.

La situation est d’autant plus délicate que le gouvernement colombien peine déjà à prendre en charge ses propres déplacés internes. La crise secouant la frontière que partage la Colombie et le Venezuela existe depuis 2015 mais les dernières réactions des deux pays vont encore cristalliser les tensions, qui ne pourront avoir que des effets négatifs sur la population vénézuélienne qui subit des conditions sanitaires et sociales de plus en plus dures.

 

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