LE QUÉBEC FACE A L’IMMIGRATION

Emma Massucci—Templier, Montréal   

 

Quel modèle pour le Québec: le multiculturalisme canadien ou bien l’interculturalisme québécois?

Le Québec est très souvent vu comme un Eldorado, une province où l’immigration est forcément liée à l’intégration, et où le quotidien connaît automatiquement une amélioration. C’est cet espoir qui a poussé 49 024 étrangers à s’installer au Québec au cours de l’année 2015, une majorité venant de France, de Chine, d’Iran, de Syrie, d’Algérie ou bien encore du Maroc.

Avec la récente élection du 45ème Président des États-Unis, Donald Trump, connu pour son repli nationaliste incarné par le slogan « America First » et plus spécialement par l’instauration de son décret anti-migration, le Canada connaît une hausse sans précédent du nombre d’immigrés états-uniens.

Quel sort est réservé à ces nombreux immigrants, venant des États-Unis mais aussi du monde entier, en arrivant au Québec ?

Il est vrai que les québécois ont toujours été ouverts à l’immigration, avec notamment en 2007 48% des Québécois qui pensent que leur province devrait continuer à accueillir 45 000 personnes par an. Cependant, le multiculturalisme, pour lequel le Canada est devenu attractif pour les étrangers, énoncé par Charles Taylor, n’est pas toujours valable au Québec. En effet, les 90 000 adhérents au Parti Québécois qui soutiennent l’indépendance du Québec montrent qu’il existe un fossé entre le Québec et le reste du Canada.

 

Les principales raisons de ce désir de détachement sont exposées par le Bloc Québécois, parti prônant lui aussi l’indépendance du Québec: « Pour que le Québec se gouverne lui-même, selon ses principes et ses valeurs », « pour établir des politiques qui reflètent les valeurs du Québec », « pour établir des politiques économiques en fonction de nos intérêts »… Mais quelles sont ces valeurs, qui séparent le Québec du Canada?

 

Le multiculturalisme canadien est apparu dans les années 60, il s’agit d’un modèle de gestion de la diversité ethnoculturelle des nouveaux arrivants, basé sur la reconnaissance du bilinguisme, des droits des autochtones et le respect des droits de tous les Canadiens, sans distinction fondée sur l’origine, la langue ou la religion. Ce système est très attrayant pour les étrangers, comme le montre les données publiées par Statistiques Canada qui stipulent qu’en 2011, le Canada comptait au total environ 6 775 800 personnes immigrées, soit 20,6% de la population totale. Des études réalisées par General Social Survey (GSS) et Canadian Community Health Survey (CCHS) ont montré que la plupart des groupes d’immigrants vivant au Canada ont un niveau de vie plus satisfaisant que les populations vivant dans leur pays d’origine avec, parmi 43 groupes d’immigrants, 38 d’entre eux qui ont une satisfaction de vie qui dépasse celui des populations vivant dans leurs pays d’origines de plus de 0,5 points (sur une échelle du niveau de vie le plus insatisfaisant au plus satisfaisant). Cette satisfaction peut être expliquée par le fait que, comme publié par The Washington Post, le Canada est un des pays connaissant le moins de racisme, tandis qu’il occupe le deuxième rang parmi tous les pays au chapitre de la tolérance et de l’inclusion.

 

Pourtant, le Québec désire s’éloigner de ce système pour diverses raisons. Il dénonce une mosaïque ethnoculturelle canadienne, où le multiculturalisme est néfaste tandis que les différentes et nombreuses ethnies vivant au Canada ne se perçoivent pas comme faisant partie de la même nation, qu’ils vivent sur un même territoire, mais ne peuvent véritablement « vivre ensemble » à cause de la barrière des valeurs et des cultures, qui les divisent et qui contribue au profilage racial. Le profilage racial se définit comme un comportement discriminatoire réel ou perçu de la part d’une autorité à l’égard d’un groupe d’individus en fonction de leur origine ethnique, nationale ou encore religieuse. Le profilage racial au Québec a pris de l’ampleur en 2003 et représente un vrai handicap pour la province aujourd’hui tandis que, par exemple en 2014 la Cour d’appel du Québec a confirmé un cas de profilage racial alors que quatre « africains » ont été victimes de discrimination dans un bar de Terrebonne ou encore en 2015 lorsqu’un immigrant a été interpelé par des agents de la Sécurité publique de Trois-Rivières qui l’ont questionné sur son identité et sa présence dans la ville sans motif apparent.

 

Aujourd’hui, les immigrants arrivants au Québec souffrent de nombreuses inégalités. Au niveau de l’embauche, bien que la discrimination à l’embauche soit interdite en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, les discriminations sont bien réelles. En novembre 2012, l’Institut de Recherche et d’Informations Socio-économiques (IRIS) a prouvé ce fait, bien que l’étude publiée sur leur site internet ait été supprimée depuis. Selon l’IRIS, plus de la moitié des personnes arrivées au pays dans les cinq années précédentes occupaient un emploi pour lequel elles étaient surqualifiées. De plus, le taux de chômage des immigrants au Québec est presque le double de celui des personnes nées au Québec, et dans le cas des diplômés universitaires, le taux de chômage des immigrants détenteurs d’un baccalauréat est trois fois plus élevé que celui d’un natif. Par ailleurs, malgré leur niveau d’étude, les immigrants gagnent moins bien leur vie que les natifs, avec un revenu représentant en moyenne 82,9% de celui des personnes n’ayant pas immigré.

 

Les femmes sont d’autant plus touchées par ce type de discriminations tandis que 46% d’entre elles se trouvent en situation de surqualification, et qu’elles disposent d’un revenu moyen qui représente 90% de celui des femmes natives et 60% de celui des hommes nés au Québec.

 

Le multiculturalisme canadien se différencie quelque peu de l’interculturalisme québécois, que souhaite mettre en place le parti indépendantiste québécois pour remédier aux failles du système actuel. Celui-ci est basé sur la langue française comme langue publique commune et favorise les rapports entre les minorités ethnoculturelles et la culture de la majorité française tout en invitant les groupes minoritaires à conserver leur héritage, à manifester leur présence et leurs propres valeurs. Le Québec montre là sa volonté de construire une société égalitaire et inclusive, de façon à pouvoir vivre ensemble et en harmonie.

 

Les statistiques, elles, nous racontent une autre histoire.

 

En effet, cette politique est contradictoire avec le sondage réalisé par la maison CROP et publié par Radio Canada. Il a été montré que 26% de la population québécoise pensent que le fait d’avoir un nombre croissant d’ethnies et de nationalités différentes fait du Canada un moins bon endroit où vivre, cette proportion est réduite de cinq points de pourcentages chez les canadiens. De plus, 67% des québécois sont d’accord avec l’idée que les immigrants devraient mettre de côté leur culture et adopter la culture canadienne, ce qui contredit les principes fondamentaux de l’interculturalisme et du multiculturalisme.

 

De plus, le Bloc Québécois souhaite se détacher du système canadien pour « accueillir et inclure pleinement les nouveaux arrivants », mais les statistiques nous prouvent là encore le contraire tandis que 32% de la population québécoise pensent qu’il faudrait interdire l’immigration musulmane, et 42% trouvent que l’accueil de 40000 réfugiés syriens au Canada a été une mauvaise décision. Ce n’est pas tout. En 2012, la mise en place de la nouvelle politique du gouvernement du Québec par Philippe Couillard, « Ensemble, nous sommes le Québec », va là encore à l’encontre des principes de l’interculturalisme tandis qu’elle s’appuie sur trois idées principales : mieux sélectionner, mieux intégrer et mieux vivre ensemble. Face à quoi, Julia Posca, auteure du rapport de l’IRIS, réagit : « la nouvelle politique en matière d’immigration, de participation et d’inclusion promet d’arrimer l’immigration aux besoins des entreprises, mais ne peut garantir qu’elle réduira les inégalités entre personnes natives et personnes immigrantes. »

 

Où se trouve donc le Québec? Dans le multiculturalisme canadien? L’interculturalisme québécois? Ou bien l’interculturalisme québécois ne serait-il qu’une façade pour restreindre l’immigration et l’intégration dans un Québec de moins en moins accueillant? 

 

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